Jacques Dufour, administrateur de la Société des Sciences, vous propose une animation autour d’un repas de mésanges.
Lettre d’information aux adhérents du 23 janvier 2021
Chère adhérente, cher adhérent,
La prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’en juin 2021 interroge quant à la reprise effective des activités publiques de la Société des Sciences au cours du premier semestre.
Compte tenu du contexte, les salles communales sont restées fermées en janvier. Rien ne permet d’envisager une ouverture avant la fin de l’hiver. Par conséquence, les manifestations seront encore suspendues durant cette période.
Aussi notre assemblée générale, à la réunion déjà reportée, ne peut-elle se concevoir, sous une forme ordinaire, avant le printemps. Par une ordonnance du 2 décembre 2020, l’Etat a d’ailleurs reconduit des mesures permettant, jusqu’au 1er avril 2021, de surseoir à la tenue de telles instances.
Pour autant, vos administrateurs prennent déjà les dispositions nécessaires à cette assemblée avec une première échéance à la fin du mois d’avril. Les rapports d’activités sont en cours d’élaboration. Avec le rapport moral et les orientations du président, ils pourraient être diffusés au cours du mois de février.
En prévision d’une impossibilité matérielle de pouvoir se réunir avant l’été prochain, sous le format habituel, une solution intermédiaire pourrait consister dans un vote des résolutions par courrier ou courriel. Les documents nécessaires seraient alors joints aux rapports. Un conseil d’administration, mandaté par un nombre suffisant de pouvoirs, pourrait alors prendre les décisions nécessaires à la poursuite de nos activités.
Pour l’instant, une bonne gouvernance passe par l’expression de deux besoins urgents pouvant être satisfaits par du volontariat. Le contrôle de la trésorerie, selon les souhaits de notre trésorier, demande l’intervention d’un vérificateur des comptes n’ayant aucune responsabilité dans l’association. Les candidats éventuels sont invités à prendre contact avec Dominique Péteul (tph. 06 62 77 76 95 ou dominique.peteul@gmail.com).
Par ailleurs, le conseil d’administration, comptant aujourd’hui 15 membres, pourrait être opportunément renforcé de 4 ou 5 personnes. Les volontaires peuvent se manifester en cochant la case « bénévolat » du bulletin d’adhésion ou auprès de Geneviève Ollivier, secrétaire de la Société (tph. 05 49 23 04 25).
Dans le cadre de ces préparatifs, en janvier, des consultations en comité restreint ont été régulièrement réalisées les quatre mardis après-midis avant la réunion en visioconférence d’un conseil le 2 février 2021.
Avant de pouvoir nous retrouver le plus tôt possible, vos administrateurs vous assurent de la diffusion prochaine du bulletin n° 154 en cours de montage. Il devrait être suivi de deux autres numéros au cours de l’année. En plus, à l’instar des derniers mois, des articles et informations paraîtront sur le site.
Prenez bien soin de vous et de vos proches. A très bientôt.
Votre président, Denis Lemaître.
Un album photo sur les oiseaux de la région châtelleraudaise en janvier 2021
Denis Lemaître propose la découverte d’un album de photographies prises à Châtellerault et dans la région.
Un chasseur d’images amateur reconfiné en novembre 2020.
Le vendredi 30 octobre 2020, à minuit, le deuxième confinement, annoncé deux jours plus tôt par le président de la République, prend effet. Le dispositif connaît quelques différences notables par rapport au premier : ouverture des établissements scolaires, maintien de l’ouverture des parcs et espaces verts…
L’attestation de déplacement dérogatoire est de retour avec neuf types de motifs permettant d’y déroger. Comme au printemps, des déplacements brefs, liés à l’activité physique ou à la promenade, sont notamment possibles « dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile ». Les formulaires du journal local seront utilisés, évitant ainsi l’impression sur une feuille blanche.
A l’instar des travaux suspendus au déversoir de l’usine EDF depuis la fin d’octobre, la vie semble s’être figée sur le plan d’eau où restent seuls vraiment actifs les cygnes et les cormorans. Cette impression est la conséquence d’une observation plus restreinte des lieux. Tout en ayant pris le risque de porter son appareil photo, le chasseur d’images peut difficilement rester quelques dizaines de minutes à scruter les bords de la Vienne afin d’y repérer notamment les martins-pêcheurs. La vision furtive de leurs vols lui permet toutefois de s’assurer de leur présence.
Les oiseaux blancs et leurs homologues noirs semblent s’être partagé le coin. Les cormorans se cantonnent en amont du pont Camille de Hogues, notamment à l’ouest du terre-plein central de l’usine, et y occupent le sommet des arbres, utilisés comme dortoirs. La douzaine de cygnes se maintient en aval du même pont. De part et d’autre, quelques téméraires osent des incursions dans le camp adverse sans déclencher des protestations. S’ils sont le fait d’oiseaux solitaires chez les sombres, ces raids sont exécutés par des couples clairs.
Outre des rondes rapides aux abords du plan d’eau, les promenades quotidiennes comprennent également une traversée du parc Aristide Briand. Le port du masque y est obligatoire avec un accès possible aux jeux d’enfants. Très peu fréquenté, ce parc offre un abri sûr à plusieurs passereaux : mésanges, pinsons des arbres et moineaux.
Les rues empruntées offrent également des surprises : tourterelles turques dans la rue de l’abbé Lalanne, étourneaux dans la rue Camille Lebeau.
Comme au printemps, des oiseaux sont également observés dans la résidence du chasseur d’images : le 3 novembre, une mésange bleue agrippée au mur d’enceinte, les 8 et 16, trois chardonnerets déjeunant dans les arbres de l’allée principale, le 14, un rouge-gorge dans un jardin voisin.
A partir de la fin du mois de novembre, l’allongement, dans la limite de trois heures quotidiennes, des déplacements en plein air autorise des
rencontres comme celle d’un homologue, le 28, en pleine action devant le pont Henri IV.
L’application AntiCovid est alors utilisée pour générer les attestations dérogatoires.
Cette nouvelle tolérance permet au photographe de répondre favorablement à une invitation de Philippe Bellin, le 2 décembre, pour une sortie « nature » au jardin de la Manu. L’organisateur, aidé de Max Poisay, guide ainsi deux amateurs dans la découverte de la flore locale. L’identification des plantes donne lieu à de fructueux échanges avec le recours occasionnel à des applications comme iNaturalist.
Au début du mois de décembre, avec l’arrivée du mauvais temps, la Vienne connaît une brusque montée des eaux qui entraîne une submersion de la végétation au fond du canal de décharge. Un puissant courant gêne l’activité des colverts. Les cormorans quittent le versant occidental du terre-plein pour se réfugier dans les arbres voisins. Moins nombreux, les cygnes continuent à se battre contre le courant pour trouver leur pitance. Le 5 décembre, un adulte et deux juvéniles s’aventurent à quelques mètres, en amont du barrage EDF.
Le cauchemar, décrit par Jacques Dufour dans « Mystère à Châtellerault », semble un instant devenir réalité. Heureusement la présence de la femelle du martin-pêcheur apporte, le 4 décembre, une note d’espoir. Le confinement automnal prendra fin le 15 décembre avec l’instauration d’un couvre-feu à partir de 20 h 00.
Denis Lemaître
Lettre d’information aux adhérents du 4 janvier 2021
Chère adhérente, cher adhérent,
L’année 2021 débute avec une part d’incertitudes.
2020 et son lot de déconvenues a connu une note positive, de dernière minute, avec la sortie du bulletin n° 153, bulletin en cours de distribution. En matière de publications, le contrat annuel est ainsi rempli.
Le report récent, jusqu’à nouvel ordre, de l’ouverture des salles de spectacle prévue le 7 janvier, met en péril nos activités du début de l’année. Aussi les rendez-vous des 13 et 30 janvier sont-ils annulés.
Nous savons combien vous appréciez les conférences proposées. Comme pour 2020, un très intéressant programme était en place pour le premier semestre 2021. Elles reprendront dès la réouverture des salles par la municipalité.
Une évidence s’impose : la reprise des activités de la Société en présence du public, subordonnée aux orientations gouvernementales et à leurs répercussions locales, doit être reportée.
Avec pour objectif principal de ne pas rompre le lien avec vous, les administrateurs de l’association vont poursuivre leurs actions selon les axes suivants :
– gérer au mieux la société en s’appuyant sur les moyens modernes de communication et en se réunissant régulièrement en comité restreint (pas plus de 6 personnes),
– réfléchir à l’organisation d’une assemblée générale, tant fort pour l’expression des adhérents de toute association, soit de façon présentielle avant juin, soit immatérielle par correspondance postale ou électronique,
– produire au moins les trois bulletins annuels avec le recours possible à de nouveaux rédacteurs tout en comptant sur les valeurs sûres alimentant déjà nos cahiers,
– conforter la présence de la Société sur les réseaux sociaux par une animation renforcée du site et l’ouverture d’une page Facebook,
– diffuser en temps réel des informations grâce à une lettre mensuelle plus attractive,
– surtout mettre à profit la moindre occasion pour vous retrouver lors de manifestations publiques.
En ce début de nouvelle année, soyez assuré que votre soutien est toujours aussi indispensable à la survie de votre association. Aussi vous appartient-il de renvoyer au plus vite votre bulletin d’adhésion pour 2021.
Les administrateurs se joignent à moi pour vous souhaiter à nouveau une excellente année 2021. Qu’elle vous apporte joie, bonheur, sérénité et réussite dans tous vos projets.
Avec l’espoir de vous revoir prochainement, très cordialement.
Votre président, Denis Lemaître.
Conte médiéval, chapitre III
En ces temps-là, l’activité des boutiques avait repris. De riches marchands s’en allaient quérir étoffes et autres produits manufacturés dans des régions reculées où la main-d’œuvre était bon marché. Ils les revendaient ensuite dans les villages aux regrattiers en faisant de confortables bénéfices. De longs convois de charrettes chargées de marchandises circulaient sur les chemins. Elles doublaient à vive allure les pauvres colporteurs (les pieds poudreux, comme on les nommait alors, car ils n’avaient point de chausses) qui devaient gagner chichement leur pitance.
Dans les villages aussi, la circulation était malaisée, car il fallait pourvoir échoppes et marchés. Des carrioles stationnaient parfois en double file et il était souvent difficile de se frayer un chemin au milieu de tout cet encombrement. Durant le déchargement, les animaux se soulageaient et le pavé des rues devenait aussi glissant que nauséabond. Il y avait là matière à vous crotter la plus résistante galoche, le plus joli sabot, et que dire de ceux qui venaient en ces lieux en escarpins !
Le ministère du Carroyage avait instauré une taxe : tous les chariots, charrettes et tombereaux y étaient soumis et le montant croissait en fonction du nombre de chevaux ou bœufs attelés. Les carrioles et les chars à un seul animal étaient toutefois exonérés car le Roy, magnanime, avait demandé d’épargner les plus humbles de ses sujets. Tout ce Crottin Ordinaire Olfactif – le fameux CO2 – polluait les villages, et les médecins les plus brillants annonçaient que le fait de respirer les humeurs émises par toutes ces déjections animales était un risque certain pour la santé des villageois et des conducteurs. Les druides annonçaient dans leurs prophéties que le remugle de ces gaz enivrerait le ciel et que cela modifierait le climat. Les calamités telluriques les plus désastreuses et les ténèbres s’abattraient alors sur la Terre. Si l’Etat ne prenait pas des mesures pour réduire cette pollution au CO2, pour sûr, l’Apocalypse serait pour demain, clamaient les prédicateurs.
Le Roy reconnut que, pour résoudre ce problème de merdasserie, il fallait réunir ministres, seigneurs, sénéchaux, conseillers, échevins et représentants du peuple. Il créa donc la Grosse Commission qui devait proposer des solutions avant que n’apparaisse la prochaine Lune. Des confréries, qui se disaient plus vertes que l’herbe des prés au printemps, luttaient elles aussi contre ces déjections et préconisaient le recours aux colporteurs pédestres ou l’utilisation d’animaux moins polluants. Le mieux serait le circuit court : pourquoi aller chercher dans le village voisin ce qui pourrait être réalisé dans le nôtre ?
Il fallait donc réduire les parcours, utiliser des animaux de plus petit gabarit, ce qui diminuerait la consommation d’avoine et de foin. Les commerçants, qui se trouvaient ainsi blâmés des conséquences de leurs transports, se défendaient en mettant en avant l’apport de moult marchandises rares à des tarifs concurrentiels. Ils regrettaient que bien des gens du village n’aient pas les compétences requises pour fabriquer toutes ces denrées nouvelles. Et puis, avec toutes ces exigences que réclamaient les villageois, sur le salaire minimum, les congés qu’il fallait rémunérer, les RTT, et les indemnités qu’ils quémandaient quand ils ne travaillaient point, c’était pour sûr un manque de compétitivité.
Le Roy consulta ses ministres et annonça qu’il revenait à l’Etat de prendre de drastiques décisions pour réduire cette inconvenante pollution au CO2, sans parler des émissions de gaz de tous ces équidés et ruminants. Déjà, le trou de l’ozone pointait son orifice maléfique sur le monde des pollueurs. La Grosse Commission se réunit, consulta les éminences du royaume et quelques jours plus tard, le Grand Chambellan présenta les mesures au peuple pour cette transition énergétique de la traction animale. A partir de l’année suivante, tombereaux, charrettes et autres chars tirés par de lourds ruminants ou équidés seraient taxés par un malus proportionnel au nombre d’animaux de trait.
L’Etat préconisait désormais leur réduction, et l’usage des mules et des ânes, beaucoup moins polluants. Il alla même jusqu’à instaurer un bonus pour ceux qui condescendraient à utiliser de simples poneys. Les cochers étaient en rage : comment faire pour conduire nos seigneurs désormais ? Le carrosse n’avancera point si on remplace quatre vaillants destriers par trois mules têtues et vite essoufflées. Les charretiers juraient ! Les puristes passionnés de randonnées à vive allure se demandaient où serait désormais le plaisir de chevaucher ? Et qu’en serait-il des escuyers du Roy qui accompagnent son carrosse ? Ces nobles montures, fussent-elles royales, émettent elles aussi moult émanations de CO2 sur le pavé parisien. Le Roy devait-il désormais se faire accompagner par une escorte de poneys ? Cela ferait sans nul doute bien rire les monarques des pays voisins. Le chancelier du royaume aurait dû s’en inquiéter ! La royale conférence n’avait rien précisé sur ce point !
La sobriété étant de mise, quelques aventureux étaient allés chercher chez les Ibères un curieux animal aussi robuste que bossu et fort économe en nourriture et eau. Il venait, disaient-ils, d’Arabie où les Sarrasins l’employaient à porter de lourdes charges sur de longues distances. C’est ainsi que le dromadaire ① fit son apparition sur le territoire des Francs !
La question de l’autonomie arriva, chacun ayant compris que si quatre courageux chevaux pouvaient tirer une charrette sur vingt lieues sans demander nourriture, cela était impossible pour les mules. D’une part, elles marcheraient plus lentement et d’autre part, il faudrait s’arrêter pour les recharger en nourriture, ce qui allongerait notablement le temps du parcours. La mule est capricieuse et mange lentement ! Cela nécessiterait de créer des bornes de rechargement d’eau et d’avoine sur les chemins loin des villages. Sans doute faudrait-il encore payer quelques deniers d’argent à un garde pour les laisser se recharger ? C’en était déjà assez des diverses taxes d’octroi et de tonlieu, des attaques de brigands qui vous détroussent de vos bourses et de votre marchandise, désormais il faudrait payer pour nourrir et abreuver les bêtes en route ! Où allions-nous ? Pauvre pays des Francs !
Le sujet faisait le buzz, et les discussions étaient fort animées dans toutes les tavernes du royaume. C’est que, désormais, les plus vaillants palefrois ne cotaient plus rien sur le marché de l’occasion. Impossible de les vendre sans faire une grosse perte lors de la foire mensuelle. En revanche, mules et ânes avaient subitement vu leur prix grimper. Les plus anciens charretiers – plutôt climato-sceptiques – disaient qu’ils avaient respiré toute leur vie du CO2 et qu’ils n’en n’avaient point eu d’humeurs pour autant. Selon eux, ce n’étaient là que balivernes de druides incompétents, de ministres avides de taxes pour remplir les coffres du royaume. Les plus hostiles haranguaient les confréries vertes, menées par des jouvenceaux ambitieux, aussi chevelus qu’ignorants, et surtout une jeune jouvencelle du royaume des Vikings, qui voulaient repeindre en vert tout le pays des Francs.
Il fallait derechef faire taire ces enverdeurs ! Les chemins qui reliaient les villages étaient en fait les anciennes voies romaines construites quelques siècles auparavant. Mais les provinces ne possédaient que des coffres quasiment vides et l’entretien laissait à désirer : dalles manquantes et profondes ornières toujours remplies de boue, car il pleuvait beaucoup à cette époque où le réchauffement climatique était encore inconnu. Les échevins obligeaient bien les villageois à la corvée de bouchage des trous en apportant quelques cailloux, mais la population prudente et qui manquait parfois d’audace ne s’aventurait guère à plus d’une demi-lieue du bourg. Au-delà, il fallait être vigilant car il y avait souvent pilleries et rançonnements. Certains seigneurs faisaient même détériorer volontairement les chemins de leur seigneurie, car toute marchandise tombée d’un chariot devenait alors leur propriété !
Les charretiers fouettaient leurs bêtes et roulaient à vive allure pour toujours arriver avant la nuit dans les villages, car il était hasardeux de bivouaquer dans les bois, toujours mal fréquentés. Il est vrai que les auberges étaient rares sur les chemins. Avec cet empressement, nombre de charrettes se télescopaient ou versaient dans le ravin. Le Grand Chambellan avait été informé de tous ces accidents qui endeuillaient le pays. Il promulgua un décret qui désormais limiterait la vitesse des chars et autres charrettes sur les chemins de province à quatre-vingts pas à la minute. La mesure devenait applicable dès le début de l’été suivant. « Des contrôles seront effectués par les brigades des chevaliers du Roy », avait-il annoncé ! La grogne continua de monter parmi les charretiers qui réclamaient toujours en jurant à grands cris le retour au quatre-vingt-dix pas. Ils s’insurgeaient contre cette mesure prise par des technocrates parisiens sans concertation avec les seigneurs de province.
Le Grand Chambellan, qui avait fait quelques déplacements dans tout le royaume, avait dû subir les quolibets d’une population lassée par les mesures royales. C’était – avait-il ouï – une atteinte aux libertés fondamentales du peuple, le droit de se mouvoir avec l’animal que l’on souhaite, à la vitesse que l’on veut. Partout sur son passage, il subissait un tintamarre d’écuelles et de marmites, un charivari à le faire
choir de sa noble monture, mais point de banderoles, car en ces temps-là les Francs d’en bas ne savaient point écrire, ni jouer au scrabble. Epuisé et fort courroucé que le peuple lui ait causé du déplaisir, le teint pâle et l’œil humide, il demanda audience au Roy et lui conta ses mésaventures, le mécontentement de tous ces gueux, cette jacquerie qui s’organisait dans les provinces, tous ces gens qui revêtaient des chasubles jaunes, qui barraient les carrefours en faisant des brûlots de bois mort : « Pour sûr, sire, il faut faire œuvre de compréhension teintée de prudence et faire taire cette révolte avant que tous ces manants ne viennent élever quelques barricades avec les pavés parisiens et attaquer votre castel royal ». Le Roy répondit que de mémoire de capétien, jamais pareille révolte n’avait été ourdie !
Après réflexion dans son palais, il se dit qu’il avait senti le vent du boulet. Il consulta quelques ministres, puis son fou et décida qu’afin de faciliter l’adoption de cette mobilité propre, l’Etat proposerait une aide à la conversion animale en accordant une bourse remplie de 4000 deniers d’argent à tout charretier qui souhaiterait remplacer son cheval par une mule ou un âne et que la somme serait portée à 6000 deniers pour un poney. Il autorisa les attelages composés d’un cheval et d’un poney. Le premier assurerait la traction sur les chemins de campagne, le second qui pourrait se recharger sur les bornes d’avoine, réduirait les émissions de CO2 dans les bourgades. Il venait d’inventer la version hybride rechargeable !
Il confirma aussi que les octrois et le stationnement dans les villages seraient dorénavant gratuits pour ces équipages. Il permit aux seigneurs de province d’établir la vitesse qui leur conviendrait pour les chemins et les routes dont ils avaient la charge. Il demanda aussi que l’on fit venir en son palais quelques citoyens parmi les moins rustres, afin qu’il écoutât leurs revendications. « Ces mesures calmeront le bon peuple, me permettront de restreindre la pollution du CO2, et en même temps améliorera ma popularité », se disait-il en son for intérieur.
Demain sera un autre jour !
C’était il y a mille ans …
① « Dromadaires dans l’Occident médiéval » Alain DIERKENS – Université de Bruxelles « Histoire des Francs » Grégoire de Tours
Jacques DUFOUR
Publié sur parchemin recyclé, encre biologique, plumes d’oies non gavées.
Ne pas jeter sur le chemin public.
Retour d’échantillons de l’Espace
Sonde chinoise Chang’e 5 : retour d’échantillons lunaires.
La mission a été lancée le 23 novembre 2020 depuis l’île d’Hainan par la fusée Longue Marche 5.
La sonde Chang’e 5 (prononcez : cháng’é wǔ hào) s’est posée sur la Lune le 1er décembre 2020 et a prélevé 2 kg d’échantillons de sol lunaire qui seront bientôt rapportés sur Terre.
Le Module Lunaire Chang’ e 5 sur le sol de la Lune (dessin)
Le 3 décembre le module de remontée a quitté la Lune, pour rejoindre le module orbital.
Le 7 décembre, l’administration spatiale nationale chinoise a confirmé que la manœuvre d’amarrage automatisée s’est passée comme prévu pour sa mission Chang’e 5. Des images de la jonction entre l’orbiteur et le module de remontée ont été diffusées.
Jamais la Chine n’avait encore tenté un rendez-vous en orbite lunaire.
Chang’e 5 doit être de retour sur Terre le 15 décembre.
C’est une première depuis 1976 (Valéry Giscard-d’Estaing était président !) où la sonde soviétique automatique Luna 24 avait rapporté 170 g de sol lunaire !
Les astronautes américains, au cours des six missions Apollo entre 1969 et 1972, avaient récolté 382 kg de roches lunaires.
Sonde japonaise Hayabusa 2 : retour de poussières de l’astéroïde Ryugu
Hayabusa 2 (Faucon Pèlerin 2) est une sonde spatiale japonaise lancée le 3 décembre 2014. La sonde a rejoint l’astéroïde Ryugu en 2018, y a déposé deux petits atterrisseurs, et prélevé quelques décigrammes du sol. Les agences spatiales allemande (DLR) et française (CNES) ont réalisé le petit atterrisseur MASCOT qui a analysé la surface. Après un voyage de six ans, la capsule larguée par Hayabusa 2 avec à l’intérieur les poussières de l’astéroïde Ryugu est revenue sur Terre. Elle s’est posée dans le désert australien ! Le travail scientifique va commencer. 50 % des échantillons seront analysés par plusieurs laboratoires dans le monde. Les 50 autres % seront conservés sous une atmosphère inerte en attendant que les technologies d’analyse progressent. Respect, pour l’une des missions les plus complexes de l’ère spatiale !
Ryugu (le palais du dragon) découvert en 1999 par le laboratoire Lincoln au Nouveau Mexique (USA), est un astéroïde de 870 m de diamètre. Il fait partie de la famille des astéroïdes Apollon, qui croisent l’orbite de la Terre. A l’apogée de son orbite il se trouve à 211 800 000 km du Soleil (150 000 000 km pour la Terre).
L’astéroïde Ryugu ©JAXA L’ombre de la sonde sur l’astéroïde Ryugu ©JAXA
La capsule larguée par Hayabusa 2 et son parachute dans le désert australien
Mais la sonde Hayabusa 2 n’a pas fini son voyage : après avoir largué la capsule, elle est déjà repartie vers un autre astéroïde, baptisé 1998 KY26.
Noël DOLEZ
Conte médiéval, chapitre II
C’était en 1020, le onzième jour de may, le Grand Chambellan du Roy avait expliqué que les fièvres s’étaient atténuées et que, même si beaucoup de malades étaient toujours alités et que certains trépassaient encore, il allait un peu relâcher la bride sur ses sujets, oh ! Juste un peu.
Il n’était désormais plus nécessaire d’être porteur d’un parchemin pour aller au village, ou s’éloigner d’un quart de lieue, ce qui enchantait le petit peuple, mais contrariait les scribes qui perdaient ainsi moult clients, car en ces temps reculés peu d’entre eux connaissaient l’écriture. Les échoppes pouvaient rouvrir, mais pour y pénétrer il fallait toutefois se masquer le minois et s’enduire les mains d’onguent. Cependant, tavernes et auberges devaient encore garder portes closes, ce qui provoqua un vent de révolte chez leurs tenanciers où victuailles et vins commençaient à se gâter.
Trois semaines plus tard, le Grand Chambellan avait accordé aux sujets du Roy le droit de pouvoir reprendre le travail et de se rendre à vingt-cinq lieues de leur demeure. Ce fut un grand bonheur pour le peuple qui pouvait, après ces deux longs mois d’isolement, retrouver qui sa famille, qui ses amis, qui ses compagnons de labeur. La plus grande contrainte avait été de troquer la traditionnelle escharpe contre un masque peu seyant. Néanmoins, les ministres conseillaient de maintenir le travail à distance, ce qui était fort complexe dans les contrées les plus reculées où les réseaux et le wifi ne passaient pas…
Cette situation contentait toutefois certains travailleurs, qui pouvaient ainsi rester en leur chaumière et porter à longueur de jour leurs braies de jogging ou un simple caleçon. D’ailleurs, certains s’étaient tant goinfrés de soupes grasses et de cochonnailles durant toute cette confination, sans jamais aller marcher même au centre du village et avaient pris un tel embonpoint qu’ils ne rentraient plus dans leurs braies trop étroites, dans leurs chemises trop serrées ! C’était même un drame pour certaines femmes qui n’osaient plus paraître devant leurs voisines et amies… En ce joli mois de mai, les hommes les plus hardis harnachaient leurs montures pour s’en aller courir par les chemins et les bois. Les plus humbles avaient attelés boeufs ou mulets à leurs modestes charrettes pour quérir le bois de chauffage qui commençait à manquer en cette fin de frais printemps, car en ces temps-là la météo était rude, les hivers longs et glacials et l’on ne parlait encore point de réchauffement climatique.
Début juin, quand la neige fut enfin fondue, le Roy abolit toute contrainte pour son peuple, les escoles purent rouvrir et la marmaille libéra enfin des parents épuisés par ces deux mois de garderie forcée dans de modestes chaumières surpeuplées et en grand désordre. Le Roy et son Grand Conseil avaient reporté le second tour de la votation pour élire les échevins qui n’avaient pu l’être au printemps. Son Grand Chambellan dont la barbe, sournoisement attaquée par quelque invisible virus, blanchissait de jour en jour, se fit vaillamment élire bourgmestre en son havre normand. Le Roy, voyant sans doute un mauvais présage en ce revirement de pigmentation de pilosité, le congédia. Le pestiféré, qui n’était pas tout blanc dans cette affaire, mais plutôt poivre et sel, s’en alla donc revoir sa Normandie, ses pommiers et ses célèbres vaches noires et blanches elles aussi, soulagé de ne plus ouïr la révolte des tuniques jaunes et subir les caprices jupitériens du Château.
Un remplaçant arriva, le Roy était allé le mander jusqu’en Navarre. C’était un rustre gaillard, un peu vintage, avec un accent gascon aux fortes émanations d’ail, dont les mimiques amusaient la cour du Roy et le petit peuple. Il était fort pédagogue et, pour que les gueux qui n’avaient pu aller aux escoles comprennent bien ce qu’il disait, il répétait toujours les phrases qu’il jugeait importantes. Il décida – en responsabilité – que le port du masque serait dorénavant o-bli-ga-toi-re dans tous les villages, marchés et échoppes. L’été avançait et les Francs qui le pouvaient partaient en vacances. Le bord de mer était leur principale destination, mais passer les frontières du royaume était une entreprise risquée. Les plus audacieux réussissaient à atteindre le royaume des Ibères et les rivages de cette mer entre les terres, là où l’on se restaure de curieux plats composés de riz jaunasse accompagné de morceaux de poularde sentant la poiscaille. Les moins aventureux envahissaient petit à petit les bords de l’Atlantique.
Le peuple se libérait donc après cette longue nuit de confination, il faisait ripaille bruyamment et se désaltérait à grandes gorgées de vin. Quant aux jeunes jouvenceaux et jouvencelles, ils festoyaient nuitamment à n’en plus finir en se faisant passer à travers le gosier des breuvages élaborés par de savants alchimistes. Divers esprits de vins promptement mélangés à d’étranges fruits et herbacées les enivraient, et leurs cerveaux embrumés par ces vapeurs éthyliques ne leur commandaient plus de respecter la distanciation préconisée par l’Agence Royale de Santé. Ils parlaient alors dans un langage des plus barbares de « mojito, spritz, shoots , de faire des face-time et des whatsapéro ». Ils se faisaient porter par des livreurs pédestres (le vélo Uber n’avait pas encore été inventé) d’énormes quantités de tourtes cuites au feu de bois avec des tomates et du fromage fondu, une mode venue de la lointaine province de Campanie. Certains humaient des vapeurs d’herbe séchée puis lentement consumée, venue clandestinement de chez les Sarazins. Bardes et ménestrels, si longtemps confinés, car travaillant dans l’événementiel, et qui avaient dû cesser leur labeur, se lâchaient désormais en créant des musiques assourdissantes que seul le diable aurait pu entendre ! Les lendemains étaient plus tristes car, outre les maux de tête sous ces blondes chevelures et quelques régurgitations de leurs entrailles, la fièvre maligne rôdait et se transmettait de groupe en assemblée. Le ver était dans le fruit et le virus dans la teuf. Il appartenait donc au Roy de guérir les écrouelles, le virus et le taux d’alcoolémie des jeunes Francs qui ne cessaient de grimper dans les bilans hebdomadaires du directeur de la santé, qui jugeait la situation sous contrôle, mais fort alarmante. Jugement de Salomon…
Les tavernes avaient enfin rouvert, mais pour y ingurgiter cochonnaille et chapons gras, il fallait suivre le protocole royal. Avant de s’asseoir devant son écuelle, l’on devait entrer masqué d’une étoffe et se laver les mains avec cet onguent d’esprit de vin. D’aucuns voulaient parfois se rincer le gosier avec : « Cela nous protégera des humeurs qui donnent la fièvre », disaient-ils. Mais l’aubergiste veillait, toujours prêt à servir quelques pichets remplis du vin de ses meilleures barriques. Dans les bourgs, sur les marchés, dans les échoppes, tous devaient porter le masque et ceux qui ne respectaient pas la loi étaient considérés comme des brigands. Les gardes royaux veillaient et les contrevenants étaient passibles d’une amende de cent-trente-cinq deniers d’argent. C’était une somme que tous ne pouvaient payer, et pour les plus malheureux, c’était alors le cachot.
L’été passa avec son cortège de malades qui croissait lentement. Le ministre de la Santé surveillait quotidiennement le nombre de paillasses disponibles dans les hospices royaux et annonçait chaque semaine au peuple que ça pourrait être pire si ça devenait plus grave. Mais la populace n’écoutait point et disait que tout ceci n’était que menteries pour effrayer le peuple laborieux.
Quand arrivèrent les premiers orages annonciateurs de l’automne, le nombre de malades croissait encore et la jeunesse festoyait toujours autant. Le Roy annonça qu’il instaurait un couvre-feu : chacun devrait avoir rejoint sa chaumière avant le coucher du soleil et n’en plus sortir avant l’aube…Il décida aussi que les tablées ne pourraient être de plus de six personnes, un vrai casse-tête pour les familles nombreuses ! Il avait inventé la jauge. Les aubergistes protestaient, disant que s’ils ne pouvaient plus tenir commerce ni le jour ni nuitamment, ni vendre plats et boissons, c’en était fini pour leurs tavernes !
A l’approche de l’hiver, le Roy parla de nouveau à ses sujets : « Oyez, oyez seigneurs et manants ! Je condescends à rouvrir les échoppes où le peuple pourra quérir toute marchandise qu’il souhaite, mais le nombre de clients devra être restreint ». La jauge royale planait toujours. « Le peuple pourra désormais circuler jusqu’à cinq lieues de son village, mais il faudra pour quelque temps encore être porteur d’un parchemin. Les tavernes et auberges resteront toutefois closes, car c’est en ces lieux que circulent les humeurs et les fièvres ». La royale décision limitait toujours le chiffre d’affaires du petit commerce, et le Roy annonça qu’il compenserait « quoi qu’il en coûtât » les pertes par de nombreuses bourses remplies de piécettes d’argent, généreusement distribuées aux commerçants. Dans les théâtres, les saltimbanques pourraient bientôt redonner spectacle et les troubadours leur musique pour distraire le bon peuple qui avait bien besoin de réjouissances.
Le Roy annonça aussi une grande nouvelle fort attendue : il avait consulté les meilleurs médecins et herboristes et, sur leurs conseils, les plus valeureux druides étaient allés quérir de secrètes plantes par-delà les montagnes et les océans. Ils avaient alors, par de curieux mélanges et de savantes décoctions, confectionné les élixirs les plus puissants qu’il faudrait distribuer au peuple pour vaincre ces humeurs qui les touchaient presque tous. La vie allait enfin reprendre lentement… Demain sera un autre jour !
C’était il y a mille ans …
Jacques DUFOUR
Publié sur parchemin recyclé, encre biologique, plumes d’oies non gavées.
Ne pas jeter sur le chemin public.
Mystère à Châtellerault
C’était en automne, nous étions en confinement saison 2, et les feuilles d’attestation se ramassaient toujours à la pelle, quelques masques aussi. Notre chasseur d’images s’était levé de bon matin, au chant du coq. Après s’être couvert le minois d’un masque, désinfecté les mains au GHAB (Gel Hydro Alcoolique Bio), muni de l’attestation ad hoc sur papier recyclé, il était parti gaillardement dans la limite du kilomètre gouvernemental et des soixante minutes tolérées, vers les bords de Vienne avec son appareil photo, le zoom déjà armé, prêt à saisir le moindre détail des plumes du premier moineau qui se présenterait. Le temps étant compté, la distance restreinte, c’est donc au pas de charge qu’il franchit le pont Camille de Hogues, puis parcourt à grandes enjambées les allées de la Manu, longe le canal pour aller rejoindre son endroit préféré : le calme et bucolique confluent de la Vienne et de l’Envigne où il va pouvoir exercer son art photographique.
Mais là, quelle surprise, aucun gazouillis ! Nul volatile à l’horizon, pas la plus petite aigrette garzette posée sur le tapis flottant de jussie rampante, et pas un oiseau sur la Vienne non plus ! Sur les branches, pas la moindre mésange bleue avec son petit gilet jaune que notre chasseur affectionne tant. Même Martin le pêcheur, son fidèle compagnon de prises de vues, est absent. Il n’y a plus personne pour pêcher le gardon ou chasser dans la vase : avant c’était open bar, désormais ça ressemble à une fermeture administrative ! Le photographe se déplace le cœur battant, observe les quais, les arbres, le barrage, même le ciel est vide, pas de zoziaux… Notre chasseur n’en croit pas ses lunettes, il les retire, les essuie, se dit qu’elles se sont certainement embuées à cause de ce fichu masque en tissu lavable vingt fois, pourtant amoureusement confectionné par sa tendre épouse entre deux parties de bridge. Ah ! Si seulement il avait pu s’offrir un FFP2 avec sa précieuse cartouche filtrante ! Il faut se rendre à l’évidence, les lunettes vont bien, les yeux aussi, mais tous les oiseaux ont disparu ! Il se dit qu’ils auraient pu le prévenir, juste une petite missive portée par un pigeon voyageur, voire une lettre anonyme, les corbeaux sont experts en ce domaine.
Après tout, même si l’horaire était un peu matinal, ils auraient pu lui proposer – sous dérogation – un Skype apéro ou un Face Time sur WhatsApp pour partager quelques graines salées avec un jus de houblon frais et mousseux.
Se seraient-ils eux-mêmes confinés après avoir entendu l’impressionnante voix de stentor du premier de nos ministres ? Notre chasseur court alors vers le pigeonnier en bois du bord de Vienne, hèle la gent ailée, frappe contre les planches… Point de réponse. Si c’est une farce, il sait qui en est le dindon. S’il trouve le responsable de cette mauvaise plaisanterie, il va lui voler dans les plumes, et ils vont échanger quelques noms d’oiseaux ! Il comprend alors qu’il s’est fait pigeonner ! Il s’inquiète toutefois de leur santé, se seraient-ils contaminés les uns les autres ? Le héron cendré aurait-il perdu le goût du poisson et l’odorat pour rechercher les vermisseaux dans la vasière ? Il se demande si une aigrette imprudente et étourdie n’aurait pas éternué dans un transport en commun, en oubliant de mettre son bec dans le creux de son aile ? Les choucas auraient-ils oublié la distanciation aviaire ? Pourtant, ils le savent qu’il faut respecter le mètre. Lemaître aussi d’ailleurs !
Les cormorans se seraient-ils perchés à plus de six pour prendre leur repas de poissons dans leur arbre préféré sur les quais ? Les mouettes auraient-elles négligé de se rincer les palmes avec du gel hydro alcoolique ? Pourtant, le panneau du point d’information tout proche rue Jean Monnet précise bien les gestes barrières à respecter !
Dans le doute, il saisit son téléphone pour vérifier sur les réseaux sociaux si quelque volatile syndiqué n’aurait pas appelé à une manifestation devant la mairie, à quelque transhumance vers une autre zone humide réputée sans virus… mais rien, pas le moindre commentaire, ni tweet, ni like sur le sujet. Inquiet en cette période anxiogène, il songe à contacter la gendarmerie pour déclencher le plan épervier.
Il espère cependant que ses chers oiseaux ont bien activé « TousAntiCovid » sur leur portable. Il va sur le site du ministère de l’Environnement pour voir si quelque directive d’un érudit énarque bobo parisien aurait interdit les abords de rivière à ses volatiles préférés. Barbara n’a rien écrit, Nicolas le mulot non plus. Fichtre ! Mais qu’est-ce donc que cette désertion ? Il finit par émettre plusieurs hypothèses : tous ses amis ailés s’étaient peut-être réunis à quelques tirées d’aile d’ici, et puis tombe l’improbable message gouvernemental qui les bloque là où ils sont, sans doute bien au-delà de ce kilomètre réglementaire. Mais ils pourraient aller sur le site gouv.fr, imprimer une attestation, la remplir en deux coups de plume et revenir ici en cochant la case dérogatoire « satisfaire ses besoins alimentaires » ! Il se dit que ses oiseaux ne sont pas des contrevenants prêts à sortir en dehors du respect des règles sanitaires vétérinaires.
Pas le genre de délinquants qui pourraient être verbalisés de 135 grammes de graines pour ne pas avoir rempli leur attestation ou avoir négligemment porté le masque sous le bec. Peut-être que l’un d’entre eux a volé jusqu’au parc du Verger pour se faire introduire, en faisant la grimace, un écouvillon au fond du bec, et si le résultat fut positif tous ses congénères se sont retrouvés cas-contact isolés en quatorzaine dans leur nichoir ! Il réfléchit et se dit qu’ils sont peut-être rentrés chez eux pour faire du télétravail sur la table du salon tout en gardant leurs petits. Ou alors ils sont allés remplir un caddie de pâtes et de papier toilette.
Il pense surtout à ses publications et se dit que c’est le chant du cygne pour la suite de sa série d’articles sur les oiseaux. Ah ! S’il osait, il appellerait bien Raoul, le professeur pour savoir si tous ces vilains petits canards n’auraient pas effectué un rapide vol aller – retour en escadrille jusqu’à Marseille pour quérir, à titre préventif, quelques boîtes d’hydroxy chloroquine. Il pense même à contacter l’Agence Régionale de Santé afin de vérifier si la région n’a pas été placée dans un confinement aviaire renforcé.
Une sonnerie retentit, notre chasseur d’images tend le bras et arrête le bruit strident sur sa table de nuit… Il se réveille haletant, après un affreux cauchemar, et reprend ses esprits. Il est soulagé, ce n’était qu’un mauvais rêve, il va donc pouvoir de nouveau rejoindre les bords de Vienne et retrouver ses chers amis. Dans quelques jours il pourra reprendre… la plume pour nous rédiger un nouvel épisode du chasseur d’images confiné. C’est vrai qu’en la matière il est le maître…
Jacques Dufour. novembre 2020
Un chasseur d’images amateur au milieu de l’automne 2020
Le mercredi 14 octobre 2020, le président de la République annonce la mise en place d’un couvre-feu, de quatre semaines, à Paris, en Ile-de-France et dans sept autres métropoles à partir du 17 octobre à 0 h 00, jusqu’au 1er décembre. La Vienne est alors classée en « zone alerte » depuis trois semaines. Deux jours plus tard, Denis Daumin, journaliste de la NR, écrira « Les jours du couvre-feu automnal ressemblent à ceux du triste printemps de réclusion ».
A partir de la mi-octobre, le chasseur d’images amateur est amené à s’écarter des abords du site de la Manu, abandonnant ainsi les quais de la Vienne entre l’usine EDF et le pont Henri IV. Les travaux sur le clapet est du déversoir reprennent épisodiquement avec des bruits éloignant la gent ailée. Au cours de la matinée du 20 octobre, le canal de décharge est ainsi déserté, les oiseaux s’étant regroupés à l’ouest du terre-plein central de l’usine. Deux jours plus tard, au cours de l’après-midi, le photographe assiste à l’intervention de la fédération départementale de la pêche qui, à l’aide d’un filet et d’épuisettes, transvase les poissons de la mare au pied du déversoir au-dessus des clapets. Le même jour, l’épais mur, érigé au début de septembre en aval du clapet oriental, est démonté. Pour autant les travaux ne sont pas terminés : le clapet occidental doit subir le même traitement.
Pendant une quinzaine de jours pluvieux et froids, une certaine tristesse s’est installée, sur le plan d’eau, avec des teintes souvent sombres. Les oiseaux ont eux-mêmes adopté des livrées où le noir et le blanc se disputent la place : les grands cormorans, les corneilles, les poules d’eau et les pies, pour le noir, et les cygnes, les aigrettes et les mouettes, pour le blanc. Seuls les bergeronnettes des ruisseaux et les martins-pêcheurs y apportent de la couleur avec l’aide des colverts. Le 18 octobre, ces derniers désertent le canal de décharge où, depuis un mois, respectant la jauge préfectorale, ils s’étaient rassemblés à une trentaine. Par moments, un rayon de soleil suffira toutefois à éclairer des berges aux nuances automnales.
Absents seulement deux jours, des cygnes tuberculés sont revenus dès le 8 octobre. Une famille de cinq avec trois juvéniles assure la relève en amont du pont Henri IV. Outre un plumage brun-gris pour l’un d’eux, un bec gris foncé distingue les jeunes des adultes au bec orange surmonté d’un tubercule noir. Respectant les recommandations présidentielles, ils restent à six depuis la mi-octobre avec le renfort d’un autre adulte. La jauge sera dépassée, le 27 octobre, par une douzaine de cygnes, en amont de l’usine EDF, attirés par des végétaux accrochés aux bouées délimitant la zone de navigation.
Assidus depuis la fin du mois d’août, deux hérons se mêlent volontiers aux cormorans dans les arbres ou les rochers du terre-plein central de l’usine EDF et sur un tronc flottant en amont du pont Henri IV. Le 21 octobre, face à un fort vent du sud, ils adopteront une position aérodynamique. Un couple d’aigrettes cohabite également avec les oiseaux noirs.
Les intempéries de l’automne ont le mérite de reverdir les espaces herbeux et de faire pousser les champignons. Le 15 octobre, sur l’île Cognet, le photographe découvre plusieurs champignons inconnus de lui, auprès d’arbres couchés ou non. L’application I-Naturalist lui fournit une première ébauche dans leur identification. Pour autant, il se garde bien de les cueillir, se contentant de les photographier. Quelques jours, plus tard, en forêt de Mareuil, sur la commune de Chauvigny, il procédera de même. Par la même occasion, River, la nouvelle chienne de sa fille Hélène, fera sa première sortie dans les bois.
De leur côté, les parcs de la ville ont retrouvé un peu de couleurs et abritent à nouveau quelques espèces d’oiseaux un temps oubliés. Le 16 octobre, au parc Aristide Briand, un déjeuner sur l’herbe regroupe pinsons des arbres, moineaux, merles et verdiers d’Europe, parfois dérangés par des étourneaux. Dans les arbres, s’activent également les mésanges à longue queue et les fauvettes à tête noire. Le 20 octobre, de nombreux passereaux s’affairent autour d’arbustes de la rue Camille Lebeau. Sous la surveillance de plusieurs étourneaux perchés sur les antennes environnantes, fauvettes, mésanges bleues, rouges-queues et autres dégustent des baies. Le lendemain, ses pas pousseront le chercheur d’images jusqu’au pont de Loudun, lieu de franchissement de la Vienne par l’ancienne voie de chemin de fer. Cet ouvrage, l’ancienne usine du Bien-Nourri et l’île Sainte-Catherine sont alors photographiés.
La fréquentation régulière du centre-ville de Châteauneuf permet à l’amateur d’images la rencontre dominicale des paroissiens de l‘église Saint Jean l’Evangéliste. Depuis la réouverture au culte, le port du masque et les gestes barrières y sont respectés. Aussi, des cérémonies importantes comme la profession de foi et l’installation du nouveau curé, les 11 et 18 octobre, présentent-elles d’étranges assistances masquées.
Le mois d’octobre 2020 se terminera par un retour du confinement pour quatre semaines au moins. L’activité du chasseur d’images risque d’en pâtir en novembre. Le 28 octobre, en milieu d’après-midi, il procède à une nouvelle observation des oiseaux fréquentant le canal de décharge alors qu’à 15 h 00, le glas résonne dans toutes les églises de France en réponse à l’attentat perpétré à Nice, dans la matinée.
Denis Lemaître